Raconte-moi une histoire

La forme de la neige

En Pologne, Srulek se rendit un jour auprès d’un aveugle qui lui demanda :

- Srulek, dis-moi, comment est la neige ?

- Elle est blanche, répondit Srulek.

- Ah ! dit l’aveugle, mais c’est comment, blanche ?

- Blanche, dit Srulek en réfléchissant, c’est comme le lait.

- Ah ! dit l’aveugle, et le lait, c’est comment ?

- Le lait, dit Srulek, tu vois, c’est blanc comme les cygnes qui sont sur la rivière.

- Srulek, dis-moi, c’est comment un cygne ?

– Eh bien ! c’est un grand oiseau, avec de larges ailes, un cou très long et courbé, et un bec comme ça…

Srulek allongea le bras et courba son poignet pour imiter un cygne. L’aveugle tendit la main et caressa le bras et la main de Srulek, lentement, attentivement, avant de dire en souriant :

- Ah ! oui, maintenant je vois comment elle est, la neige…

Jean-Claude Carrière – Le cercle des menteurs.

Et si tout n'était qu'apparence ?

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Mais, peut-on peindre la mer en son entier ?

Il était une fois, il y a bien longtemps, un roi qui dut quitter son pays à la hâte. Seul un tableau il emporta. Cette peinture représentait son palais jouxtant la mer et la végétation alentour. Mais la toile était inachevée. La mer n’y était pas peinte en son entier.

Mais, peut-on peindre la mer en son entier ?

En son exil, le roi eut un fils et prit l’habitude de lui montrer chaque jour la peinture, afin que l’enfant, loin de son pays, connaisse le palais royal jouxtant la mer et la végétation alentour. Il lui expliquait que l’œuvre était inachevée, et que lorsqu’il retournerait chez lui, le peintre serait appelé pour terminer l’ouvrage. Et le jeune prince était émerveillé par tant de couleurs et par la beauté de ce palais jouxtant la mer et la végétation alentour.

Le roi mourut et quelques temps plus tard …                   

Le prince devenu roi vint dans le pays de son père et vit enfin le paysage qu’il n’avait vu qu’en peinture. Mais il fut profondément déçu.

Il fit venir le peintre et lui dit :

« Ta peinture est plus belle que la réalité, tu m’as trompé. Pour cette illusion je vais te tuer. Mais avant cela, je veux que tu termines cette toile et peignes la mer en son entier».

Mais, peut-on peindre la mer en son entier ?

Le vieux peintre tremblant se fit apporter ses pinceaux et ses couleurs. Il peignit le restant de la mer.

Et, il peignit le restant de la mer si bien, si vraie, que la mer qu’il avait peinte déborda de la peinture et à envahit la pièce du palais où se trouvaient le jeune roi et sa cour. Alors, le vieux peintre, dans l’eau jusqu’à la taille, peignit une barque, un mât et une voile. Il grimpa dans le frêle esquif, peignit un vent très fort, hissa la voile et disparut à l’horizon de la peinture.
 

Julos Beaucarne – Le navigateur solitaire sur la mer des mots